« Conseils aux jeunes romanciers ». Ainsi est sous-titré ce joli Nécessaire d’écriture, signé Jean Rouaud et Nathalie Skowronek, publié aux éditions Seghers.
Les livres à destination des apprentis écrivains sont moins rares qu’avant, peut-être parce qu’ils ont un vrai public. On en sait la cause : « Les Français ne lisent plus, ils écrivent ! ». Paradoxe des temps, les librairies perdent chaque jour des clients, mais de plus en plus d’amateurs se verraient bien faire partie des happy few dont les noms apparaissent dans leurs vitrines.
Voilà pourquoi peut-être les Lettres à un jeune poète de Rilke connaissent un succès qui ne se dément pas ; voilà pourquoi on a vu paraître des Lettres à un jeune auteur de Colum McCann dans une belle édition 10/18. Les ateliers d’écriture font le plein ; bien des maisons proposent désormais des stages et publient des recueils de conseils, exercices, astuces et autres secrets de fabrication destinés aux candidats. Voici un Nécessaire d’écriture, donc, pour ceux à qui l’écriture, en effet, est nécessaire.

C’est un beau livre comme une maison grecque : couverture blanche avec un liseré bleu méditerranéen, et alternance d’encre noire et bleue pour différencier sur la page commentaires et exercices, histoire littéraire et conseils pratiques. « L’écriture ne s’apprend pas, mais elle se pense et se travaille », annoncent les auteurs, avant de déployer leurs suggestions techniques mais aussi un passionnant survol de l’histoire de la création littéraire.
La thèse centrale du livre a de quoi stupéfier : nos grands auteurs se sont vus écrivains avant d’avoir quelque chose à dire. Ce qui comptait à leurs yeux, c’était moins de traiter tel ou tel sujet ou de raconter telle ou telle histoire que d’entrer dans la carrière des lettres. Ils voulaient vivre la plume à la main, s’inscrire dans un panthéon littéraire, composer des phrases, manipuler des mots. Mais pour raconter quoi ? Le sujet, la forme, le genre, tout cela, nous disent Rouaud et Skowronek, a été second, est arrivé par surcroît, au gré des circonstances.
Bien sûr, cette idée bat en brèche une certaine vision du génie : l’albatros né lourd de son œuvre à venir, assailli par de sublimes images qui ne demanderaient qu’à prendre forme sur la page. Il parait qu’écrire est un don, une vocation, une illumination. On voudrait que ce soit « mettre sa peau sur la table ». Ça l’est sans doute, si l’on entend par là que la création est le fruit d’un intense et consciencieux travail, nourri par l’échec, les fausses routes, et une méditation de tous les jours sur ce qu’il convient de dire.
Constat optimiste, donc : faire un roman, ce n’est rien d’autre qu’un gigantesque labeur. Avec ce Nécessaire, ceux qui l’ont déjà entrepris et achevé cartographient le chemin pour ceux qui voudraient les suivre.
Le « mantra » énoncé tout au long de ce « Nécessaire » : mettre au centre de sa vie la pratique de l’écriture et ses exercices, veiller à rester régulier (un mot après l’autre, avancer jusqu’à atteindre le milieu de la rive, qu’il soit plus pénible de faire demi-tour que de continuer), se fixer un rythme de 1500 signes par jour, entretenir « l’obsession » de son livre jusqu’à ce qu’il nous échappe.
Mettre l’écriture au centre de sa vie, bien sûr. Mais il est une nécessité première, un point sur lequel tous les guides d’écriture du monde sont d’accord : l’écriture exige la lecture. C’est déjà ce que clamait l’excellent Je suis un écrivain de Gilbert Gallerne, la méthode de mon enfance.
« Revisiter l’histoire de la littérature est un présupposé indispensable pour qui rêve de la rejoindre », avancent à leur tour Rouaud et Skowronek. Et dans ces pages ils évoquent Racine, Chateaubriand, Balzac, Flaubert, Proust ou Kerouac : cette galerie de portraits s’avère captivante.
Maxime Cochard
Jean Rouaud, Nathalie Skowronek, Nécessaire d’écriture, éditions Seghers, 2024, 291 p., 21 euros